Le Nasdaq est revenu
à ses plus hauts niveaux, Apple est la première capitalisation boursière mondiale, Facebook vaut 100 milliards de dollars, Zynga, Linkedin et Groupon ont réussi des entrées en bourse
fracassantes. Le numérique est le secteur économique qui connaît la plus forte croissance et fait naître le plus de jeunes entreprises. Il rebat les cartes dans tout les secteurs et impacte
la plupart des entreprises.
Certaines entreprises ont surfé sur la vague numérique comme Apple, Amazon, Samsung ou Facebook. D’autres ont été affaiblies comme Universal Music ou Sony. Et quelques unes ont été balayées
et ont disparues, comme le distributeur de disques HMV, le producteur de films photo Kodak, ou le libraire Borders.
Par Henri de Bodinat, Auteur de “La stratégie de l’offre” (éditions Pearson)
http://strategies.blogs.challenges.fr/archive/2012/03/07/une-nouvelle-victime-du-tsunami-numerique-la-fnac.html
Face au numérique, il n’y a pas de fatalité du succès ou du déclin. Il n’y a qu’une bonne ou une mauvaise stratégie.
L’industrie de la musique a été saignée par le numérique avec un chiffre d’affaire divisé par deux; au lieu d'en faire un levier de croissance et de rentabilité, elle s’est rétractée sur
les supports physiques et a pleurniché devant la piraterie.
C’est un outsider de la musique, Steve Jobs, qui en lançant l’Ipod et ITunes, a montré que l’on pouvait faire payer pour la musique à condition d’offrir un écosystème complet, simple et
pertinent. Les industriels de la musique, au lieu de le traiter en sauveur, l’on traité en paria, ce qui en dit long sur leur absence de vision.
Quand les opérateurs téléphoniques ont voulu concurrencer Apple et vendre de la musique en ligne, les même industriels de la musique ont tué la poule aux œufs d’or en exigeant des minima
garantis absurdes et des niveaux de rémunération destructeurs. Au lieu de transformer les opérateurs des partenaires ils les ont dégoûtés de la musique. L’industrie de la musique a été
affaiblie non par le numérique mais par des dirigeants ineptes.
La FNAC semble prendre le même chemin. La FNAC était un véritable media, un « agitateur culturel », combinant en un seul lieu, de façon unique, livres, musiques, vidéos, et matériel photo,
télé, hifi. Avec des vendeurs connaisseurs capables de guider le chaland. La FNAC était une expérience exceptionnelle.
En quelques années le concept a été sabordé, et le numérique lui donne le coup de grâce.
En faisant venir à la FNAC des spécialistes de la grande distribution, des rois de la marges arrière, de la rotation de stocks, de la rentabilité au mètre linéaire rayon par rayon, en
pressant comme du citron un personnel payé à réassortir et non à conseiller, les dirigeants ou actionnaires successifs ont réussi à augmenter de façon fugace la rentabilité à court terme
tout en dégradant l’expérience utilisateur et en détruisant le concept. Il fallait d’ailleurs y penser : prendre des spécialistes d’une forme de commerce en train de devenir périmée
(l'hyper distribution classique est obsolete) pour gérer une forme de commerce d’exception.
Puis est arrivée Internet. La FNAC a subi un premier assaut : Amazon. Des livres et des CD livrés chez soi, au même prix, avec un choix supérieur, et un moteur de recherche pertinent. La
Fnac était dépassée. Elle a tenté de monter un service concurrent, mais il était inférieur sur tous les plans. Internet 1- FNAC 0.
Deuxième assaut : ITunes, qui combinée à Amazon, a érodé les ventes de CD. La FNAC monte son système de téléchargement, médiocre, non compatible avec l’IPod, qui s’enlise. Internet 2-FNAC
0.
Parallèlement, oubliant la notion d’expérience totale, oubliant que dans une offre certains composants sont essentiels même si s'ils vendent peu ou sont peu utilisés (que ceux qui ont
utilisé un airbag lèvent la main), la FNAC dégarnit son rayon CD, et donc la richesse de son offre sur la musique, un de ses facteurs d’attraction majeur. Raisonner rayon par rayon et non
pas en offre globale est une erreur de débutant. Internet 3 – FNAC 0.
Arrive aujourd’hui l’Ebook, avec Amazon. Alors que le téléchargement sur le Kindle d’Amazon représente déjà plus de 10% des revenus des éditeurs américains en 2011, la FNAC attends le
débarquement en France du Kindle d’Amazon pour lancer son propre reader avec l’entreprise Canadienne Kobo. L’échec est annoncé car Le Kindle puis le le Kindle Fire, comme IPod et ITunes,
représentent un écosystème beaucoup plus attractif pour le client final. En 2015, plus du tiers des ventes de livres seront numériques. Après la musique, le rayon livre de la Fnac est
menacé. Elle va donc réduire l’assortiment et le personnel qualifié, comme dans tout bon raisonnement de comptable, et ouvrir une voie royale à ses concurrents pure player numériques.
Internet 4- FNAC 0.
Ce sera ensuite le tour de la vidéo, que le numérique va aussi absorber, pour le plus grand profit des producteurs et la plus grande perte des distributeurs englués dans le physique. La
FNAC, sorite du disque, du livre, et de la vidéo, deviendra t’elle finalement un distributeur de matériel électronique ou de mobiles, mais quel sera son avantage compétitif sur Darty dans
un secteur ou les marges sont rabotées et ou Surcouf a fait faillite ? Et surtout comment concurrencer Amazon ou Pixmania, les rois du e-commerce de produits bruns? Internet 5-FNAC 0.
La FNAC avait tous les atouts pour prendre le tournant numérique. Un concept très fort, une base de centaines de milliers de porteurs de cartes d’une valeur immense, un personnel compétent
et connaissant ses produits, des laboratoires de test efficaces, des emplacements prestigieux, des contacts privilégiés avec tout les producteurs de culture. Mais elle a raté sa
transformation de détaillant physique en société de « click et mortar ». Barnes et Noble, au départ chaîne de librairies traditionnelles, réalise aujourd’hui plus d’un milliard de dollar de
chiffre d’affaires avec son propre Ebook reader et ses téléchargement de livres. Apple ouvre des Apple Stores, et même Pixmania va ouvrir des magasins physiques, sortes de showroom destinés
à soutenir l’activité Internet. Les modèles mixtes physiques/numériques ont le vent en poupe, mais la FNAC a réussi le double exploit de dégrader son offre physique et de ne pas utiliser
ses atouts pour devenir une reine du numérique.
L’arbitre va siffler la fin du match et la FNAC sera KO debout. Elle s’est trouvé, comme l’industrie de la musique, face à la marée numérique. Et comme l’industrie de la musique, elle n’a
pas su intégrer le numérique dans son offre, et a même dégradé son expérience client initiale. Elle a réagi de façon primaire et comptable à la révolution numérique, au lieu de la récupérer
à son profit. Elle s'est tiré une balle dans un pied malade.